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ou pourquoi faire de la néguentropie anthropique ?

Ce siècle avait deux ans et l’œil était toujours dans la tombe qui regardait Caïn. Comme Rimbaud en son très jeune temps lorgnant au travers de deux trous rouges au côté, je rêvais Hugo qui lui-même se voulut Château brillant sinon rien ; Chateaubriand lui-même qui n’en ressentait que mieux dans le silence des chèvres appendues sur les ruines des châteaux de l’Italie, les bruits de l’histoire.

Si vous croyiez déceler en filigrane une quelconque amertume mâtinée de jalousie que j’aurais exprimée là à mon cœur défendant, détrompez-vous ; un enthousiasmant optimisme m’ habite toujours puisque sur ces illustres ancêtres je garde l’avantage de n’avoir point encore écrit mes derniers mots.

— Plus pour longtemps !

— Qui a dit ça ? … silence.

Le hors-sujet en devoirs scolaires fut durant de longues années ma marque de fabrique, celle d’un sombre (ou mystérieux…) benêt n’ ayant aucune maîtrise sur le flot chaotique de ses pensées, aurait-on dit ? Aujourd’hui, avec la licence du temps (et la majorité civile ainsi que toute autre revendiquée…) je me permets de supputer que la pensée discursive n’est que l’émanation des limites du langage et que la connaissance qui m’interroge ne s’acquière pas dans la maîtrise du flot mais se révèle dans son effleurement.

Or donc, en ces temps initiatiques où je me voulais original sinon moi-même ( ..?), je concevais l’idée d’un recueil de nouvelles autour du thème : « Et si l’humain était dominé par tel ou tel caractère ? « . Et si, par exemple, nous n’avions pas de sphincter anal ? libérant nos excréments sans aucune possibilité de rétention, même provisoire ; chacun vivant voire marchant, dans l’odeur prédictive de l’autre [proverbe : Sandales crottées, journée chargée ]. Imaginez une ville en forme de cuvette de WC avec nettoyage vespéral… Et si nous naissions avec la tête du jour de notre mort , vivre avec l’inaltérable figure de son destin, le chérubin mort-né, tête de vieux –  jours heureux, tête d’ado sans avenir, la société toute entière organisant le quotidien de chacun à la valeur prédictive des rides du temps… Et si l’empathie était plus qu’une possibilité raisonnable d’appréhender autrui, si elle était à ce point nécessaire que notre ego en serait subjugué ? Un monde qui tourne autour des affects, ta joie est ma joie, ta peine est ma peine, à en mourir : mon texte  à l’époque hélas , s’est vite épuisé sur cette perspective butoir, pour le meilleur comme pour le pire…

Et si l’être humain soucieux de son humanité, se sentait potentiellement bénéficiaire d’une valeur ajoutée ? avec un cri : « Je suis un P.B.V.A !! « … un cri intérieur (ouf !), en fait pas même un cri mais une certitude, une close dans la gnose universellement notre, et concernant personnellement tout un chacun, toi, moi, saisis dans notre commune nature… la possibilité d’un bonus…

Ce ne fut pas, gloire à l’ inflexible sélection naturelle, d’occuper le haut de la chaîne alimentaire : la chaîne est en boucle. Notre corps, notre matière est contrainte par de multiples cycles : de l’eau, du carbone, de l’azote, du calcium, à l’échelle du jour, de l’année, du siècle, de la terre, de l’univers. Et de l’état de nature à celui de culture pareillement : toujours les mêmes cycles et d’autres qualifiés d’historiques qui ramènent tout, tôt ou tard à l’état de poussière. Poussières de terre, poussières d’étoile. Peut-être suis-je l’heureux possesseur inconscient et provisoire d’un atome de carbone qui appartînt tout aussi provisoirement à Chateaubriand : nulle trace de son génie dans ce nanomètre d’espace mais le champ morphique de sa mémoire pourrait bien un jour nous parvenir d’outre-monde  par les voies supraluminiques de l’intrication quantique…

Ici bas et de nos jours injustes et tristement, nul bonus ne transparaît de notre médiocrité mondialisée! On se voudrait indigné mais sommes-nous seulement capables de consternation ? Le temps moderne accélère et promeut une forme de détachement en cultivant l’éphémère,  la succession des éphémères. Aptitude à l’oubli, appauvrissement de la sensation de soi, stress. On avance croit-on mais vers où, vers quoi et comment et pourquoi ? Le 21 décembre 2012 la civilisation maya fut recuite à la mode du show, affamant encore un peu plus ses quelques milliers de survivants, exploités par là-bas sous le couvert de la jungle guatémaltèque. Le passage au neuvième cycle calendaire maya, catapulté en fin du monde annoncée, sacré scoop et prévisible pschitt, a fait le spectacle. Cependant cette nouvelle énergie, cet allant vers l’unification des consciences, cette nouvelle existence dans un nouveau cycle, moi je les ai accepté comme attendu, et vous … ?

On se crut, et l’école républicaine laïque en fut le chantre candide, homo sapiens sapiens. Sapiens, c’est bien déjà mais sapiens sapiens… c’est mieux! Et puis tantôt, les hommes de science se ravisent et révisent à la baisse : soyons simple sapiens. On pourrait en conclure l’exclusion de la conscience morale de nos attributs : sans doute justifiée car l’universalité de celle-ci n’est pas évidente à démontrer, à ouïr dans l’euphémisme. En fait il s’agissait d’enterrer une deuxième fois nos proches cousins néandertaliens  en leur retirant la capacité à connaître : espèce de bipèdes écervelés. Homo sapiens neanderthalensis  devenu homo neanderthalensis il ne reste plus que nous dans la case homo sapiens, prononçant en conséquence un non-lieu dans l’affaire du meurtre originel, reclassée en « violence envers un animal de compagnie ». C’est dès lors avec ce titre ajusté qu’il nous faut envisager l’avenir , nous les derniers représentants vivants du genre homo, ce qui se traduit invariablement en langage évolutionniste par : extinction… ou (ouf) transformation… voire diversification… en deux branches dont une, par  extrapolation sommaire du jour serait homo faber : évolution par spécialisation restrictive ; on ne se réinvente pas, on se caricature ; une sorte de remake du gigantisme saurien, fléau écologique que la planète mère due se résoudre à éradiquer pour laisser s’épanouir un petit rongeur plus prometteur mais attention : il ne faut pas décevoir maman !… Faber, latin qui réjouit mon patronyme savoyard mais choix de l’ego, choix d’un conseiller pernicieux  qui ne travaille qu’à sa survie, choix d’une vision pathologique de soi avec laquelle on entretien un rapport identitaire… L’autre chemin, par extrapolation subliminale du jour, est une reconquête, autant dire plus humblement une conquête, celle de notre deuxième étoile dans le guide de l’évolution : homo sapiens sapiens. Déjà quelques individus existent ou ont existé. On les dit lumineux, on les adore, bien qu’ils ne se veulent qu’exemplaires. Leurs existences résonnent dans le champ futur de nos interrogations et y implantent leur forme comme une invitation au voyage. Qu’un-plus-un s’y engagent et le voyage devient destinée, sans hasard ni nécessité, mais par le besoin pour soi-même d’être lumineux…

« Et je médite, obscur témoin ;  /  Pendant que, déployant ses voiles  /  L’ombre, où se mêle une rumeur,  /  Semble élargir jusqu’aux étoiles  /  Le geste auguste du semeur » V. Hugo

Et donc si, paradoxale existence d’un néant qui n’existe pas, la conscience  s’auto-saisie sur sa propre consistance, l’énergie de cette interrogation égraine – et en est le premier grain – sur le fil du temps, le processus d’auto-création de cette conscience qui est à la fois moteur et finalité du processus. Le flot existentiel génère de la conscience de soi qui en amplifie le flux. Le flot est inflationniste et la conscience intégrative (la conscience de la conscience de…). L’homme à la fois porteur d’existence et de conscience a la possibilité d’investir le flot, de devenir le flot, un flot de conscience de soi qui s’unifie, se dilue dans la conscience, une conscience de tout si proche de rien qu’un doute peut-être l’auto-saisie…

Ad vitam æternam